SUMMARY
L’Evidence-Based Medicine (EBM) et la médecine personnalisée (MP) ont une ambition commune : réduire l’écart entre les résultats de la recherche biomédicale et leur application en clinique. Toutefois la MP est souvent présentée comme un « nouveau paradigme » pour la médecine, comme l’avait d’ailleurs été l’EBM dans les années 1990. Elle recouvre beaucoup de projets différents mais au cœur de la plupart d’entre eux, on retrouve la prétention d’une meilleure prise en compte des spécificités individuelles que ne le permettrait l’EBM avec son approche populationnelle et statistique. Dans cet article, nous concentrons notre attention sur la MP en cancérologie : elle concerne essentiellement un ciblage des traitements à partir de caractéristiques moléculaires des patients. Ce ciblage est rendu notamment possible par la meilleure connaissance des mécanismes moléculaires des cancers. Il conduit à une stratification en sous-groupes plus restreints de patients et met en difficulté l’évaluation classique des thérapeutiques promue par l’EBM, en particulier, les essais cliniques randomisés qui reposent sur des cohortes de grande taille. Mais la meilleure connaissance des mécanismes et la plus grande précision des thérapies pourraient rendre ces essais moins nécessaires. Assistons-nous avec la MP à une revanche de la culture physiopathologique et mécaniste sur celle statistique et empiriste au sein de la recherche clinique ? Notre objectif est de mettre en évidence ce qui, pour cette MP déjà effective, conduit à des changements épistémologiques dans la manière de considérer ce qui compte comme type d’information et de preuve en médecine, en particulier dans le champ de l’évaluation thérapeutique. Nous défendons l’idée que la MP, loin de pouvoir se passer des approches statistiques et place en réalité l’EBM face à de nouveaux défis. Elle la conduit à renforcer l’articulation et l’intégration des données statistiques et mécanistes pour une meilleure prise en charge de chaque patient.