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L’impossible sincérité du curateur. Authenticité, crédit et récit de soi dans les avatars contemporains du roman de collection

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Comment un discours scientifique aussi normé que l’inventaire de collection peut-il devenir le journal intime déguisé de menteurs professionnels ? Au XIXe siècle, le roman de collection, récit du martyre esthétique de collectionneurs marginaux ou galerie de portraits de tout ce que Drouot compte d’experts véreux, de faussaires sans scrupules ou de philistins dupés, met en scène des collections parfois truffées de faux, sans que la forme-collection elle-même soit considérée comme inauthentique : elle reste une forme pertinente d’organisation des objets et des connaissances. Quand la fiction contemporaine s’empare du genre, cependant, c’est pour donner une tout autre vision de la forme-collection. Celle-ci n’est plus le résultat du désir fou mais sincère d’un esthète, mais plutôt de la spéculation financière de collectionneurs anonymes peu soucieux d’authenticité. Détachée d’un projet personnel qui lui donne sens, associant objets authentiques et falsifiés, la collection n’est plus qu’un trompe-l’œil qui imite des discours de savoir ou d’authentification pour mieux en révéler la fragilité. Dès lors, son curateur, qui ne la possède plus, mais en est seulement le gardien et le garant, ne peut plus être qu’un menteur. Face au délitement de la collection devenue système de signes qui tourne à vide, son seul recours est de “se montrer radical dans la maîtrise de l’imposture”, de performer dans son inventaire une hypocrisie réglée, pour recréer, par-delà l’angoisse de la collection comme pur simulacre, un nouveau rapport aux objets – donc à soi. L’écriture des inventaires inauthentiques de la collection devient ainsi paradoxale écriture de soi, reconquête par le mensonge du rapport aux objets et aux autres, au monde dont ils sont issus, au langage qui les identifie. Se joue ainsi l’un des horizons éthiques du roman contemporain, dans la tentative de construire de fragiles relations de confiance entre narrateurs et narrataires – autant de pactes de lecture en abyme, fuyants, mais proposant une forme de crédit fictionnel.

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