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L’ensevelissement du sujet dans Idiotie de Pierre Guyotat

SUMMARY

Idiotie (2018) de Pierre Guyotat prolonge et clôt la démarche autobiographique singulière de l’écrivain amorcée avec Coma (2006). Seulement, l’écriture autobiographique cette fois se double d’une écriture de l’histoire. Le dernier tiers du livre, qui s’organise d’après le motif biblique de l’Exode, fait ici l’objet d’un examen particulier. Racontant ses derniers jours en territoire algérien nouvellement souverain, Guyotat nous initie à ce que signifie son exode personnel, au cours duquel sourd sa responsabilité d’écrivain. Mais c’est aussi une forme d’écriture qui s’élabore alors, et une éthique qui devient inéluctable. Guyotat poursuit avec ce texte son ambition d’écrire une contre-histoire anti-hégémonique. Soit une histoire des corps dominés, dont il parvient à rendre le sentiment d’accumulation, stratifiée dans la durée : corps exploités, usés, morts et ensevelis des générations successives de l’humanité, auxquels il se solidarise. Abordant de front la guerre d’Algérie en prenant le parti de raconter la part (séditieuse) qu’il y a joué en tant que soldat conscrit, Guyotat tend finalement à concrétiser avec Idiotie sa vision géologique de la misère, énoncée près de vingt ans avant. Figurant tout à la fois l’exploitation éhontée des corps humains (comme indice généralisé de la domination politique) et la honte qui en découle (telle qu’éprouvée personnellement), le geste autobiographique guyotien apparaît dès lors comme le moyen d’une remise en question de la transparence et de la souveraineté du sujet. D’où la notion d’ensevelissement : tirant profit d’un usage très particulier du je autobiographique, l’écriture guyotienne voudrait incarner tous les corps spoliés, puis rejetés dans l’oubli par l’histoire, et signifier du même souffle l’inscription de l’histoire dans ces corps. Cette écriture, qui voudrait être vestige et symptôme de la domination subie, serait alors une sorte d’archéologie retraçant la misère organique, pétrifiée par le temps, qui constituerait en somme le produit brut de l’humanité.

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