SUMMARY
Entre la fiction littéraire moderne et la démocratie libérale, il y a un lien historique, moins au sens où la seconde aurait favorisé l’avènement de la première, qu’au sens où la question démocratique pose aux écrivains une série de problèmes du point de vue des conditions de production et de réception. A partir d’une approche socio-historique sur le cas français, l’article traite de la tension entre ethos démocratique et ethos aristocratique que ces conditions génèrent chez les écrivains modernes depuis le début du 19e siècle, du point de vue des limites posées à la liberté d’expression et de la définition de leur rôle social dans un contexte d’économie de marché et d’élargissement du lectorat. Cette tension se manifeste d’abord entre les options du réalisme et de l’art pour l’art, dont Flaubert a tenté la synthèse, puis, de la Troisième République à la Guerre d’Algérie, dans les différentes formes d’engagement politique des écrivains, de Zola aux nouveaux romanciers en passant par Sartre et les Hussards. De nos jours, la politique d’aide à l’édition, qui détient désormais en quasi-monopole la fonction de gatekeeper du champ littéraire, et la libéralisation caractérisent les conditions faites à la littérature. Cependant, la liberté d’expression reste bornée par plusieurs principes : interdiction des provocations à la haine raciale, protection de la jeunesse, protection de la vie privée. A travers quelques affaires contemporaines visant des œuvres romanesques ou autofictionnelles (de Nicolas Johns-Gorlin, Eric Bénier-Burckel, Mathieu Lindon, Camille Laurens, Christine Angot), l’article examine quels sont les droits reconnus à la fiction littéraire de nos jours.